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— II —

les écrits des bons auteurs. La science grammaticale se borne à l’observation et à l’appréciation des termes, des règles de concordance, des constructions adoptées par les grands écrivains. C’est dans leurs ouvrages qu’il faut chercher le code de la langue. En effet, où trouver mieux que dans ces régulateurs avoués du langage des solutions à tous les problèmes, des éclaircissements à toutes les difficultés, des exemples pour toutes les explications ? Est-il avis ou opinions qui puissent faire loi comme ceux qui émanent, pour ainsi dire, d’un jury d’écrivains d’élite ? Mais la tâche n’est pas facile à remplir.

Un auteur, quelle que soit sa supériorité, ne fait pas autorité à lui seul ; il faut donc compulser tous les chefs-d’œuvre de notre littérature, réunir une masse imposante de faits, et n’admettre que ceux qui ont été consacrés par l’emploi le plus général. Cet immense travail se complique encore de la difficulté de choisir des pensées intéressantes sous le rapport de la morale, de la religion, de l’histoire, des sciences, des lettres et des arts ; car on conçoit tout ce qu’offrirait de fastidieux un amas de ces phrases triviales dont fourmillent nos grammaires. L’éducation, d’ailleurs, est inséparable de l’enseignement, et il faut, autant que possible, élever l’âme et former le jugement. Sous ce point de vue, rien de plus consciencieux que notre travail. Les cent mille phrases qui constituent notre répertoire grammatical sont tirées de nos meilleurs écrivains ; elles sont choisies avec goût, il n’en est pas une qui ne révèle à l’esprit une pensée morale, ou un fait historique, scientifique, littéraire ou artistique. Montaigne, Pascal, Larochefoucauld, Fénelon, fournissent les préceptes de philosophie et de morale ; Chateaubriand prête aux idées religieuses l’appui de son style brillant et pittoresque ; Molière dévoile les secrets du cœur humain ; Buffon, Bernardin de Saint-Pierre, Lacépède, apprennent à lire dans le grand livre de la nature. Ainsi, tout en croyant n’examiner la langue que sous le rapport des faits grammaticaux, l’élève s’enrichit d’une multitude de connaissances variées. Ajoutez à ce premier avantage tout le charme que prête à l’étude jusqu’alors si aride de la grammaire l’étude même des faits, si supérieure à la vieille routine qui s’obstine à renverser l’ordre naturel en procédant des théories aux exemples.

Envisagée de cette façon, il nous semble que la grammaire n’est plus seulement un exercice de collége sur lequel s’assoupit la mémoire ; c’est l’histoire de la pensée elle-même, étudiée dans son mécanisme intérieur ; c’est le développement du caractère national dans ses intérêts politiques et ses sentiments religieux, analysé ou plutôt raconté par la nation elle-même, par les interprètes les plus éloquents de cette nation.

Quelques savants grammairiens, entre autres MM. Lemare et Boniface, avaient bien entrevu cette manière d’envisager la grammaire ; et si les livres qu’ils ont publiés étaient plus développés et moins systématiques, s’ils faisaient mieux connaître