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La grammaire générale est une science, parce qu’elle n’a pour objet que la spéculation raisonnée des principes immuables et généraux de la parole ; une grammaire particulière est un art, parce qu’elle envisage l’application pratique des principes généraux de la parole aux institutions arbitraires et usuelles d’une langue particulière.

Ainsi, en français, si :

AU LIEU DE DIRE, OU D’ÉCRIRE :
ON DISAIT, OU L’ON ÉCRIVAIT :

Tiens, voilà des violettes au pied de ces églantiers. Oh ! qu’elles sentent bon ?

(Bernardin de St-Pierre.)

Tiens, voilà des violettes au pied de ces églantiers. Oh ! qu’elles sentent bonnes !

Tous les hommes sont à peu près du même âge ; à quatre-vingts ans, on est aussi sûr qu’à seize ans de voir encore le lendemain.

(Droz.)

Tous les hommes sont à peu près de la même âge ; à quatre-vingt ans, on est aussi sûr comme à seize ans de voir encore le lendemain.

Il est de faux dévots ainsi que de faux braves.

(Molière.)

Il est des faux dévots ainsi que des faux braves.

C’est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne ; l’aigle FRANÇAISE plane sur la Vistule.

(Napoléon.)

C’est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne ; l’aigle FRANÇAIS plane sur la Vistule.

De sa patte droite, l’ours saisit dans l’eau le poisson qu’il voit passer. Si, après avoir assouvi sa faim, il lui reste quelque chose de son repas, il LE cache.

(Chateaubriand.)

De sa patte droite, l’ours saisit dans l’eau le poisson qu’il voit passer. Si, après avoir assouvi sa faim, il lui reste quelque chose de son repas, il LA cache.

C’EST des contraires que résulte l’harmonie du monde.

(Bernardin de St-Pierre.)

CE SONT des contraires que résulte l’harmonie du monde.

Les plus sages rois sont souvent trompés, quelques précautions qu’ils prennent pour ne l’être pas.

(Fénelon.)

Les plus sages rois sont trompés souvent, quelles que précautions qu’ils prennent pour ne l’être pas.

Il y a peu de plaisirs qui ne soient achetés trop cher.

(Boiste.)

Il y a peu de plaisirs qui ne soient achetés trop chers.

C’est pour ne pas exclure les vices, qu’on les revêt d’un nom honnête.

(Malhesherbes.)

C’est pour ne pas exclure les vices, que l’on les revêtit d’un nom honnête.

Quoiqu’il n’y ait rien de si naturel à l’homme que d’aimer et de connaître la vertu, il n’y a rien qu’il aime moins, et qu’il cherche moins à connaître.

(Fléchier.)

Malgré qu’il n’y a rien d’aussi naturel à l’homme comme d’aimer et de connaître la vertu, etc.


On commettrait autant de fautes contre l’usage, car l’usage veut que l’on dise : ces violettes sentent BON, et non sentent BONNES ; quatre-VINGTS ans et non quatre-VINGT ans ; AUSSI sûr QUE, et non AUSSI sûr COMME, etc., etc. Pour éviter de semblables fautes, et des milliers d’autres que nous ne pouvons ni citer ni même prévoir, il est indispensable de connaître les règles auxquelles l’usage a soumis notre langue, et qui, réunies en un corps complet de doctrine, forment le code de cette même langue, et constituent ce qu’on appelle la Grammaire française.

D’où il résulte évidemment que la Grammaire française est l’art de parler et d’écrire, en français, correctement, c’est-à-dire d’une manière conforme au bon usage.

On a vu que la grammaire est définie, tantôt art, tantôt science.

Est-elle une science ? est-elle un art ?

C’est ce qu’on pourrait également demander de la logique, de la médecine, de la navigation, etc., et ce seraient là des questions assez oiseuses ; elles ont pourtant exercé les philosophes.

Une science est un ensemble de faits, d’observations, de découvertes liées par la méditation, et qui se rapporte à quelque branche des connaissances humaines.

Un art suppose aussi des observations ; mais il dépend surtout de la pratique et de l’exercice.