Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pissent les murs d’ex-voto ridicules, dégoûtants ou obscènes, pieds-bots ou pieds tordus, ventres ouverts, hernies et goitres, membres atrophiés. Tant il est vrai que la laideur est le fruit naturel de la superstition ! Ne la crains pas pour moi, cher Cyprien ! La beauté que j’aime et où je me plais à voir un reflet de Dieu est étrangère aux idoles des Gentils.

« Mais du moins, la pensée de leurs sages aurait-elle séduit mon intelligence ? Tu le sais bien, je ne fais état de leurs philosophies que dans la mesure où elles se rapprochent de la vérité du Christ. Presque toujours j’y trouve la même matérialité que dans leurs religions. En réalité, ils n’ont jamais pu se dégager complètement de la matière. Platon lui-même, après avoir isolé splendidement son Dieu du reste du monde et avoir aperçu dans un éclair la spiritualité divine, éprouve le besoin de diviniser le soleil, les astres, le ciel tout entier. Ne pouvant nier Dieu, ils l’ont noyé dans la matière. De là, leur dévotion, d’autant plus fanatique qu’elle se croit plus positive. Y a-t-il quelque chose de risible comme un philosophe dévot jusqu’à la superstition ? C’est par cette cagoterie que les stoïciens en particulier me dégoûtent si fort. Ayant fait de la Nature le Dieu unique, ils se prosternent devant elle. À les en croire, ses lois sont toutes sages et toutes bonnes : il faut les subir non seulement avec résignation, mais avec joie. Et il ne leur a pas suffi d’écraser l’homme sous le destin, de moraliser ce qui est étranger à toute morale, de donner une intelligence à des forces brutes : il a fallu encore qu’ils relèvent les plus absurdes superstitions, en les justifiant par une louche sophistique. Pour eux, il n’y a jamais assez de temples, d’autels, de sacrifices, d’haruspices, d’augures et de devins. Aussi nous traitent-ils d’athées et d’impies. Le type de cette engeance est bien ce Marc-Aurèle Antonin, pour qui, décidément, je ne comprends pas les indulgences des nôtres. Ah ! celui-là ! comme il est agenouillé devant la Nature et ses lois ! C’est le parfait élève du stoïcisme. Il