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apparence inextricables. Pourquoi compromettre la nôtre ? De plus en plus, le monde vient à nous. Demain, sans doute, nous l’aurons conquis. Avec un peu de prudence et de bonne volonté, ce grand changement peut s’accomplir sans causer trop de désastres ni de ruines. Sans achever d’ébranler le corps vermoulu de l’Empire, n’est-il pas possible de tout y rénover dans le Christ ? Sous le masque antique, la vie nouvelle continuerait à sourire. Tu as blâmé les mosaïques et les statues de ma villa des Thermes. Pourtant, les Heures et les Saisons païennes ne cessent pas de dérouler leurs rondes sur les murs de nos nécropoles et sur les flancs de nos sarcophages. Les Hermès Criophores se sont transfigurés en symboles du Bon Pasteur. Un jour viendra peut-être où ce qui reste de la beauté ancienne sera sauvé par les successeurs de Pierre.

« Là-dessus tu m’accuses d’avoir des faiblesses cachées pour les superstitions des Gentils. Tu crois que je ne suis chrétien que des lèvres et que mon cœur est resté attaché à ces religions de mort. Je les hais au contraire à cause de leur matérialité épaisse, de leur appétit de la chair et du sang. Je ne saurais sans répugnance assister à leurs rites. Les viandes et les graisses de leurs sacrifices, les fumées fétides, les odeurs de laine et de corne brûlée, les entrailles et les peaux des victimes, tout cela me donne la nausée. À Rome, j’étais constamment révolté par ces tueries en masse, qui, sous prétexte de cérémonies religieuses, emplissent les rues d’une puanteur d’étable et de tout un ignoble tumulte. Des vieillards me contaient qu’un jour Septime Sévère, après un sacrifice expiatoire, fut suivi jusqu’au seuil du Palatin par deux vaches noires mal égorgées, et que cela fut considéré comme un présage funèbre. N’est-ce point une chose dégradante que cette promiscuité des hommes et des bêtes sous le regards de divinités ivres de sang ? Je me rappelle ces fêtes qui n’étaient que des orgies et des ripailles, où l’on se crevait de boisson et de nourriture,