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reux agit sur l’esprit à la façon du feu sur l’encens, dont il libère les parcelles les plus subtiles et les plus exquises… »

Il reposa sur le bord de la table le grand verre à pied où il avait dégusté le vin de Calama, et il soupira avec un air de béatitude :

« Ah ! la vie est douce !

– Tu crois ? dit amèrement Cécilius.

– Pour moi du moins. Tout m’a réussi jusqu’à présent. Mes filles se sont mariées de bonne heure. Ma femme elle-même m’a fait l’amitié de me quitter au moment où ses infirmités devenaient tout à fait importunes. Sans la goutte qui me tourmente de temps en temps et le souci de mon fils, je serais parfaitement heureux… Sais-tu que Marcus m’inquiète ? J’ai peur qu’avant peu il ne passe ouvertement dans votre secte.

– Nous serons très honorés d’une telle recrue, dit Cécilius. Mais toi-même, qui parles si librement de toutes choses, pourquoi n’es-tu pas des nôtres ?

– Comment veux-tu que j’abandonne une religion qui me donne le bonheur, en assurant la tranquillité de mon esprit ? D’ailleurs, pour changer, il faudrait discuter, et j’ai horreur de la dispute. Deux philosophes aux prises me font l’effet de ces crabes qu’on voit se dresser l’un contre l’autre, sur le sable des plages, en agitant dans le vide leurs pinces furibondes… »

Il lança son gros rire épanoui. Des mulets s’ébrouaient dans la cour. C’était l’heure où les charretiers rattelaient leurs charrettes, pour retourner aux prés. Martialis, étalé sur ses coussins, prêtait l’oreille avec complaisance à ces bruits familiers de la ferme et il se rengorgeait dans son orgueil de maître. Jugeant l’instant propice, Cécilius poursuivit :

« En tout cas, je connais ta bienveillance. Je suis sûr que c’est grâce à toi que les prélats, convoqués par Cyprien, ont pu quitter Cirta sans encombre.

– Sans doute ! …Mais tu m’assures, n’est-ce pas, que Cyprien est parti, lui aussi ?