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couleurs éclatantes. Elle avait un aspect clair et joyeux, qui rasséréna l’âme de Cyprien. Levant ses deux paumes ouvertes, l’évêque se tourna, pour prier, vers l’Orient… Puis, étouffant le bruit de ses pas, il s’approcha de la large baie en plein cintre qui éclairait sa chambre et qui s’ouvrait directement sur les jardins. Près de lui, dans les pièces voisines, Pontius et Célérinus dormaient encore.

Extraordinaire d’immensité, de grandeur étrange et sauvage, le spectacle qui se déployait soudain devant ses yeux étonna le voyageur. Les jardins de Cécilius s’avançaient jusqu’au bord de l’éperon calcaire occupé par la villa. De cet endroit, on dominait les gorges de l’Amsaga, la rivière torrentueuse qui enserre dans une de ses boucles le rocher et la citadelle de Cirta. De l’autre côté du gouffre sonore, sur ses formidables entassements de pierre, la ville s’étalait, suivant un plan incliné, avec ses toits rouges, ses maisons peintes en bleu, ou blanchies à la chaux. En haut, émergeaient les frontons des temples bâtis sur le forum, le pinacle d’un arc de triomphe. Tout près, séparée seulement de la balustrade par le précipice des gorges, une roche perpendiculaire s’abîmait à pic dans le ravin. Et, par derrière ce gigantesque pylône, comme coulé d’un seul jet de métal, la vue s’étendait sur un vaste cirque de montagnes, un paysage pétré, aux grands espaces fauves ou ferrugineux d’où la vie végétale semblait bannie. Les sommets turriformes se découpaient sur un ciel très pur. L’air était léger, salubre, délicieux à respirer.

Cyprien, tout en se penchant vers le magnifique horizon, se disait que, décidément, son ami Cécilius était toujours le voluptueux qu’il avait connu autrefois à Carthage. On ne pouvait choisir un endroit plus propice que ces hauteurs boisées, pour y établir une résidence d’été. Devant la nudité éblouissante des roches voisines, les verdures de ces jardins étaient déjà un repos pour le regard.