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effacé et modeste, il avait pris néanmoins l’habitude de la parole dans les réunions liturgiques : de sorte qu’il s’exprima devant l’évêque sans nul embarras. Il dit que son compagnon se nommait Pastor : c’était un Espagnol de Carthagène, avec qui il avait travaillé autrefois à Hippone et à Rusicade. Celui-ci désirait voir Cyprien pour une communication importante. Quant à lui, Nartzal, il répondait de l’Espagnol : c’était un homme sûr, une âme droite, quoique… Et rien qu’en appuyant sur ce dernier mot, il fit comprendre à l’évêque que l’autre n’était pas chrétien.

Cyprien ayant congédié Nartzal, l’Espagnol parla à son tour, l’air gêné, en cherchant ses mots, car il savait mal le latin. Figure inexpressive, brûlée par tous les soleils méditerranéens, fouettée par les vents et les averses, il avait l’air d’une poutre mal dégrossie. Il dit :

« Maître, voilà !… Je suis voiturier. Je fais sans cesse le chemin entre Thubursicum et les mines de Sigus, où je conduis de la farine, du vin, de l’huile, des fers pour les mulets et les chevaux. Cet hiver, un peu après les saturnales, comme j’étais à Sigus chez le coiffeur, celui qui est près du temple, le garçon qui me rasait me dit : « Connais-tu un homme de confiance pour porter une lettre à Carthage ? » En hiver, les occasions sont rares. Je dis oui tout de même. Et, le soir, il m’amena à l’auberge un contremaître de la grande mine, un nommé Mappalicus, de Thuburbo, qui me remit pour toi la lettre que j’ai là dans ma blouse. Seulement, la saison a été si mauvaise que, pendant trois mois, je n’ai pu trouver un seul messager pour Carthage… Et puis voilà que tout à l’heure, chez le marchand d’orge, j’ai rencontré Nartzal, qui m’a dit que tu étais ici… »

Il porta la main à sa blouse, mais, comme pris d’une défiance soudaine :

« Tu es bien Thascius, le Carthaginois ?

– Je le suis en effet ! dit l’évêque : car on m’appelle aussi Thascius.