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née, il rentra, le visage illuminé, les yeux flamboyants. Il dit aux frères béants de stupeur :

« J’ai vu Cyprien !… Il m’a exhorté à le suivre. Et comme je lui demandais si le coup de la mort fait bien mal, il m’a répondu : « Le corps ne sent plus rien quand l’âme est ailleurs. Ce n’est plus notre chair qui souffre, c’est le Christ qui souffre pour nous… »

Et, s’exaltant soudain :

« Le Christ ? Je le verrai, lui aussi ! Je verrai le Seigneur. Je devine sa présence autour de moi. Quand je chemine en sueur à côté de mes chevaux, dans les ténèbres des galeries, je sens son souffle qui passe. Toute ma chair frissonne et mon visage, comme ma poitrine, en est rafraîchi. »

Ces propos enflammaient Jader, le maître muletier. Mais, toujours taciturne et obstiné, il n’en laissait rien voir. Seulement ses dures pupilles grises, à l’éclat métallique, brillaient d’un feu intense. Ce veuf, qui n’avait jamais voulu se remarier, était un homme austère. A force de voyager, derrière ses bêtes à travers les montagnes de la Numidie et les grandes plaines désertes de la Proconsulaire, il avait pris, pendant ses longues heures solitaires, l’habitude de la méditation. Il était devenu un contemplatif. La calme résolution, la persévérance inébranlable de ce silencieux fortifiaient Bos et Mâtha et Célérinus lui-même, qui avaient moins de fermeté d’âme et qui parfois laissaient échapper des paroles amères. Mais les prédications enthousiastes de Nartzal et aussi de Flavien de Tigisi emportaient toutes les hésitations et toutes les défaillances. Ceux-là ne voulaient pas voir les laideurs ambiantes, ni les tristesses du moment. Ils excitaient les autres à la vie spirituelle, qui, si elle n’était pas précisément la négation de l’épouvantable vie qu’ils menaient, en était la glorification continuelle. Tout leur offrait un prétexte à se réjouir ; les moindres objets, les plus pénibles épreuves se transfiguraient instantanément dans leurs esprits, se muaient en symboles consolants ou