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l’avait frappé de stupeur. Celui-ci, roué de coups, les jointures brisées, le ventre déchiré par les ongles de fer, les entrailles à nu, s’était guéri de lui-même au milieu des pires infections, des miasmes, des contagions les plus dangereuses, dans des conditions d’hygiène et de traitement qui étaient un défi à l’art des médecins. Sous l’influence d’un pouvoir surnaturel, les vertus curatives de la nature atteindraient donc à un degré d’énergie et d’efficience incalculable, imprévisible ? Le fait certain, c’est que, comme le lecteur de Cirta, Cécilius, d’ailleurs moins atteint que lui et soigné convenablement, se rétablit bien plus tôt qu’il n’aurait pu l’espérer. Cependant, il lui restait une boiterie très apparente à la jambe luxée.

Quand il fut debout, le procurateur délégué par Rufus, préfet des camps, s’empressa de procéder à un nouvel interrogatoire du condamné. Il le fit avec les plus grands ménagements d’abord, car il avait naturellement le respect des puissances même déchues, et il redoutait toujours une réhabilitation de Cécilius. L’ayant mandé à son office, il lui dit avec une bienveillance affectée :

« Veux-tu abjurer ton erreur ? Tu n’as qu’une parole à prononcer. »

Cécilius le savait bien qu’il n’avait qu’une parole à prononcer pour être libre. Et il n’ignorait pas davantage que le légat attendait impatiemment ce mot de désaveu et qu’il était prêt à mener grand tapage autour de son apostasie : c’était exactement la tactique qu’on avait employée avec Cyprien. On espérait ainsi semer le scandale et la désunion dans les églises, obtenir peu à peu la dispersion des fidèles. Instantanément toutes ces idées se présentèrent à son esprit. De son ton le plus calme, il répondit à Théodore :

« Non, je ne prononcerai pas le mot que tu me demandes !

– Encore une fois, insista le procurateur, tu as bien réfléchi aux conséquences de ta rébellion ? »