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Lui sur la croix ou sous la dent des bêtes !… Encore une fois, leur sacrifice consommé au grand jour de l’arène, devant des multitudes assemblées, n’a pas été vain, — nous en avons la certitude. Et puis nous sommes tous égaux devant la souffrance. La même sueur, les mêmes affres de la chair et de l’âme accompagnent l’agonie de l’esclave et celle du sénateur. Eux aussi, tout aussi bien que moi, ils savaient pourquoi ils donnaient leur vie. Ils la donnaient, ils souffraient la torture pour affirmer que le Christ est ressuscité et que son règne doit venir. En l’affirmant moi aussi, je proteste avec eux contre le règne de la force, contre un monde livré uniquement au marchand et au soldat. Le monde sans le Christ, sans la justice, sans l’amour, sans l’intelligence du Verbe, est une chose abominable à désespérer les âmes. Nous mourons donc pour que son règne arrive. Et nous le devons d’autant plus, nous les chefs, qu’on ameute le peuple contre nous. On lui dit : « Voyez ! Les riches vous poussent au martyre, tandis qu’eux, bien tranquilles dans leurs palais, se rient des persécuteurs ! » Or, aujourd’hui, nous sommes mis en cause personnellement. L’édit nous désigne par nos dignités : nous ne pouvons pas nous soustraire au combat, abandonner les foules à elles-mêmes et à leurs mauvais bergers. Il importe, au contraire, de leur montrer, par la facilité joyeuse avec laquelle nous la dépouillons, que cette vie éphémère n’est rien, qu’il n’y a de vie véritable qu’avec le Christ : mourir pour sauver la liberté de nos âmes, se donner pour ne pas se perdre, pour s’enrichir de l’opulence et de la magnificence de Dieu qui est le Riche des riches, voilà le grand devoir !…

– Oui ! interrompit Faustus, il importe beaucoup d’affirmer cela, car la plupart ne pensent point ainsi. La vie présente leur suffit : ou bien elle comble tous les désirs, ou bien ils en sont tellement excédés qu’ils n’aspirent plus qu’au repos pour l’éternité…

– Je les connais, dit Cyprien, ces voluptés du monde ! Ceux qui s’y livrent sans retour ne comprennent pas que