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sés là pour voir le défilé de la procession et la mascarade des vendanges.

Une sentinelle du palais apprit à Cécilius que le proconsul était absent. Indisposé, il se trouvait à sa maison de campagne, au bord de la mer, de l’autre côté de Mégara, dans le quartier qu’on appelait le Champ de Sextius. A cette nouvelle, une atroce angoisse étreignit le voyageur. Il vit nettement Cyprien agenouillé dans la poussière du Champ de Sextius pour recevoir le coup de la mort. Ainsi tout confirmait ses présomptions tragiques : tandis que le peuple s’amusait, Galerius, à petit bruit, sur quelque place déserte de la banlieue, dans quelque recoin obscur de sa villa, faisait trancher la tête à Cyprien !… Éperdu, talonné par une hâte fébrile, il sauta précipitamment sur son cheval, tenta de franchir le cordon de troupes qui maintenait la cohue des spectateurs, pour se lancer sur la route de Mégara. Des badauds bousculés l’injurièrent. Un dizenier lui intima l’ordre de s’arrêter. Force lui fut de s’immobiliser au milieu de la foule. Un supplice intolérable commença pour lui. Cerné par ces flots humains qui, de toutes parts, l’empêchaient de fuir, il dut assister jusqu’au bout, et sans perdre le plus petit détail du spectacle, à cette mascarade orgiastique, à cette fête du Vin, qui déchaînait sur Carthage un véritable vent de folie et qui, pendant près d’une semaine, plongeait la ville dans une ivresse interminable et crapuleuse.

Soudain, la mélodie aigrelette des flûtes déchira l’air, les grondements sourds des tambourins se répercutèrent sous les portiques. Toutes les têtes se tournèrent vers l’escalier monumental qui, au bout du parvis, descendait sur la rue de la Santé et faisait communiquer Byrsa avec les bas quartiers de la ville. Des clameurs de soulagement s’élevèrent après cette longue attente, puis des cris aigus, des rires, des huées. Derrière les musiciens, énorme, gesticulant et bariolé, se déroulait tout un cortège de figures grotesques et monstrueuses : des silènes aux têtes déme-