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laient dans son esprit mille résonances imprécises. De quel monde innommé et splendide ces formes lui parlaient-elles ? de quoi étaient-elles les signes ?… Et ces symboles amis lui rappelaient certaines heures enivrées de sa jeunesse, certaines exaltations extraordinaires, dont sa mémoire n’avait retenu qu’un reflet éblouissant : un soir à Rome, sur la voie Flaminienne, près d’un monticule ombragé de pins en parasols, d’où l’on découvrait le Tibre et le mausolée d’Hadrien, — un autre soir, à Sunium, sur les degrés du temple de Neptune ; — un matin de lumière rose, plein de vols de tourterelles, dans l’île d’Éléphantine, au bruit sonore des cataractes ; — mais surtout un matin de Carthage, une promenade, à la pointe de l’aube, qu’il avait faite avec Cyprien, lorsque tous deux étaient encore étudiants, hors des faubourgs, du côté de la nécropole et de la grande lagune. Au détour de la route, derrière un rocher, la pleine mer s’était tout à coup déroulée à leurs yeux. On ne voyait plus que le ciel et l’eau, d’immenses étendues radieuses, un infini paysage de cristal et d’azur. Ils marchaient, l’un à côté de l’autre, sans se rien dire, mais il leur avait semblé alors que toute la gloire du monde venait à eux, comme un tapis triomphal déployé sous leurs pieds…

Ah ! que la terre était belle ! Comme c’était délicieux et comme cela faisait mal de se pencher vers ses splendeurs toujours trop brèves, toujours décevantes et qui pourtant renaissaient sans cesse en une inextinguible illusion ! Est-ce qu’il pourrait jamais s’en arracher ? S’en arracher, pour quoi, pour quelle vertu, effrayante, pour s’en aller vers quelle région sublime et glaciale, où l’on est si seul, où l’on a si froid ?…

La tête entre les mains, Cécilius sanglotait doucement. La nuit était tout à fait venue.