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trophe le trouva presque insensible. Il n’avait pas le courage d’ordonner qu’on poursuivît la fugitive. A quoi bon d’ailleurs ? Ce serait causer un scandale inutile, tout en risquant d’indisposer Proculus. Car il connaissait de longue date les résistances indomptables de la jeune fille. Il la savait capable de se tuer plutôt que de se laisser ramener au logis paternel. Sans nul doute les conseils indulgents de Proculus, homme d’âge et d’expérience, qui, en outre, était son ami, obtiendraient d’elle beaucoup plus que la contrainte et la sévérité. Si, malgré tout, elle persévérait dans ce projet de mariage, alors il ferait agir Cyprien auprès de Victor. Ou plutôt, c’est l’évêque qui déciderait. Il était possible, en effet, qu’il approuvât les intentions de Birzil. Mais il fallait l’avertir au plus vite, se confesser à lui en toute sincérité d’âme. En lui cachant sa liaison avec Lélia Juliana, il avait continué à lui laisser croire que Birzil était seulement sa fille adoptive. Il avait hâte de rejeter ce fardeau d’ambiguïtés et de mensonges. Quand il se serait soulagé de ces aveux, peut-être qu’il goûterait un peu d’apaisement et de sérénité.

Cécilius méditait les termes de cette difficile confidence, lorsqu’il reçut de Cyprien lui-même un message secret, apporté en toute diligence par un serviteur de l’évêque. Celui-ci lui disait : « Je sais que je suis condamné. Le proconsul, qui est actuellement à Utique, a donné l’ordre de m’y amener, dans l’intention de me faire mettre à mort. Mais je me suis échappé clandestinement de Curube, pour venir me cacher dans ma villa des Jardins. Je me livrerai dès que je le jugerai convenable, c’est-à-dire lorsque le proconsul sera de retour à Carthage. Car un évêque doit mourir dans sa ville épiscopale. Frère bien-aimé, voici l’heure pour nous de rendre témoignage au Christ. Je sais que tu ne failliras pas. C’est pourquoi je te quitte sans tristesse. J’ai la certitude que je te reverrai bientôt. Je suis ton avant-coureur. Je vais t’annoncer, dire qu’on te réserve la place au banquet de l’Époux… »

La lettre était tombée des mains de Cécilius : « Je pars,