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assise à son chevet. Il se disait : « Allons ! Encore cette hantise abominable ! D’où me vient cette suggestion criminelle contre laquelle proteste tout mon être ? Est-ce que ma tête s’égare ?… »

La nuit était complètement venue. Le cheval de Cécilius buttait contre d’énormes cailloux, ou faisait de brusques écarts, épouvanté par un reflet d’étoile sur une boucle de harnais, ou sur une cassure de rocher toute brillante de mica.

Derrière lui, les goujats talonnaient leurs mulets, en lançant dans le noir leur cri guttural et strident… Et Birzil occupait toujours sa pensée. Il se demandait : « Ces engouements pour le Sud, cette obstination à rester au Calcéus, malgré la chaleur et les pires dangers, qu’est-ce que cela signifiait ? Avec la complicité de Thadir y avait-elle caché quelque amour commençant ? Ou bien était-ce seulement une folie d’imagination ? Et il se rappelait les divagations de la jeune fille, un soir, à Muguas, dans la bibliothèque : « Mon mari ?… Un conducteur de caravanes, un cavalier Gétule !… » Mais non ! Enfantillages que tout cela ! L’entêtement de Birzil s’expliquait uniquement par celui de Thadir. La vieille maîtresse du gynécée avait continué son œuvre, en s’efforçant de lui ravir l’enfant et de la soustraire à son influence. Fanatique, elle haïssait les chrétiens. Elle les redoutait pour Birzil, elle avait eu peur du Christ !… A ce nom venu malgré lui sur ses lèvres, Cécilius eut un mouvement d’impatience. Eh quoi ? Toujours Lui, plus obsédant que la pensée de son amour inguérissable !… Et, plein de trouble, il s’interrogeait de nouveau. Pourquoi donc, en se refusant à Lui, éprouvait-il une telle détresse ? Est-ce qu’il avait eu l’âme malade et désespérée, quand il s’était refusé aux anciens dieux, quand il avait retiré son adhésion à telle ou telle doctrine ? Or, Celui-là, on ne pouvait pas se séparer de Lui, sans étouffer de remords et de tendresse inutile. Pourquoi cette honte, cette nostalgie ? Pourquoi ?…