Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de défiance l’environnait. Quant à son compagnon, c’était un cabaretier de Thuburnica, la dernière étape, où l’on venait de passer la nuit. Ayant affaire en pays numide, il avait tellement supplié Mâtha, le chef des écuries, que celui-ci finit par lui permettre de se glisser dans le convoi. Les cabaretiers étant, d’habitude, des gens mal famés qui se livraient à toute espèce de métiers louches, on le traitait en brebis galeuse. Mais le drôle, fort insolent, payait d’audace.

Les deux légionnaires venaient aussi de Thuburnica, où il y avait un poste de police préposé à la surveillance des routes. Les voyageurs avaient demandé cette escorte au commandant du castellum, simplement pour se protéger pendant la traversée de la zone montagneuse qui sépare la Numidie de la Proconsulaire, contrée particulièrement propice aux embuscades : le lendemain, les deux soldats devaient regagner leur quartier.

Mâtha, qui admirait beaucoup la monture du plus jeune d’entre eux, s’approcha de la bête, un superbe étalon de Maurétanie. Le cavalier s’était assis à l’ombre de son cheval, et, lorsqu’il se fut installé commodément sur une pierre plate, Mâtha le vit ébaucher un geste furtif sous la visière de son casque. Le palefrenier, ostensiblement, traça le signe de croix sur son front. Les yeux du soldat brillèrent :

« Tu es chrétien ? » demanda-t-il à voix basse.

Mâtha se borna à lui serrer la main, en signe de fraternité. Du coin de l’œil, il lui montra Delphin, le cubiculaire, qui les observait. Cependant, Jader commençait à s’impatienter. Il dit avec humeur :

« Le maître n’arrive pas.

— Mais qui est le maître ? » lança arrogamment le cabaretier.

Delphin, toisant l’individu, prononça :

« C’est un grand orateur de Carthage !

— Et qui s’appelle ?… insista l’homme d’un ton sceptique.

— Que t’importe, puisque tu ne le connais pas ?