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lien, un homme à demi barbare, d’une raideur inflexible, il croit devoir afficher une rigidité encore plus grande.

– Pourtant, affirma Cécilius, la turbulence et les vices du soldat ont besoin d’être contenus…

– Oui, sans doute ! Par exemple, Macrinius a raison de lutter contre l’ivrognerie et la débauche des païens. Il nous répète sans cesse : « Ayez votre paie dans vos ceinturons et non au cabaret ! » Cela je le veux bien. Mais il nous harcèle continuellement par des règlements nouveaux, aussi minutieux qu’insupportables. Tous les jours, il fait inspecter nos vêtements et nos chaussures. Gare à ceux qui les vendent, ou qui trafiquent sur l’orge et le fourrage des chevaux ! Un de mes camarades a été battu de verges pour cela : il a failli en mourir ! Ah ! le chef est impitoyable pour les fautes légères comme pour les fautes graves. Le mois dernier, il a fait écarteler un adultère et décapiter un maraudeur qui avait volé deux poules !… Plus de pitié pour le soldat ! Depuis l’insurrection des Maures, il nous tient perpétuellement en haleine : exercices quotidiens, marches forcées à l’ardeur du soleil. Défense d’habiter en ville : nous devons vivre sous la tente, comme si nous étions en campagne. Quelques sous-officiers avaient construit des berceaux de feuillage pour y prendre leur repas : il a ordonné qu’on les brûlât ! Que te dirai-je encore ?… Défense de faire la cuisine, de manger chaud : il faut nous contenter de viande de conserve, de lard, de fromage, de biscuit, comme à la frontière, derrière les pieux du retranchement. Pour toute boisson, du vinaigre militaire !… Le croirais-tu ? il nous a interdit jusqu’aux bains de vapeur et même, à l’intérieur du camp, l’accès des portiques où l’on flâne, le soir, en buvant et en jouant aux osselets…

– Hélas ! mon ami, observa Cécilius, si vous voulez lutter contre les Barbares et les vaincre, il importe peut-être de redevenir vous-mêmes des Barbares, en tout cas de vous reviriliser après cette longue période de mollesse…

– Ah ! dit Victor, que d’autres se plient, s’ils le veulent,