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trait d’une extrême réserve. Constamment il se tenait sur la défensive. Dès que Cécilius faisait mine d’aborder des sujets brûlants, il détournait la conversation ou il se taisait. Pourtant celui-ci devinait chez le vieillard une sympathie persistante, qui n’osait plus se manifester, un désir secret de s’entendre, d’écarter tout malentendu, — à cause de Birzil peut-être. Néanmoins, Martialis était gêné. Ce n’était plus, entre eux, l’intimité d’autrefois. Aussi firent-ils un désolant voyage, sous la poussière et la chaleur torride de cette fin d’août. Pendant des lieues interminables, la voiture courut à travers des plaines monotones, sans un arbre, à l’herbe rare déjà brûlée par la canicule, aux grands espaces calcaires, où des pierres trouées comme des éponges semblaient s’émietter par la véhémence du soleil. Plus que cette terre incolore, à l’aspect rude et âpre, l’idée qu’il allait voir un administrateur romain assombrissait Cécilius. Il avait beau être lui-même citoyen de Rome et se prévaloir de sa noblesse sénatoriale, — comme tous les provinciaux, il haïssait le fonctionnaire et méprisait le soldat. Or le légat était le commandant en chef de toutes les forces armées de Numidie, et Lambèse, où il se rendait, une ville toute militaire…

Longtemps avant qu’on pût apercevoir les maisons du municipe, on distinguait, au bout de l’horizon, les murailles du camp retranché dominé par la masse hautaine du prætorium. Visible de tous les points de la plaine, lourdeur opprimante et colossale, elle paraissait niveler, autour d’elle, jusqu’aux montagnes elles-mêmes. Cette insolente bâtisse symbolisait la force lointaine et terrible sous laquelle l’Afrique, comme le monde, était courbée… Enfin, dans sa rigidité géométrique, le quadrilatère de la forteresse se précisa, avec ses tours et ses remparts crénelés, ses chemins de ronde, ses portes monumentales. L’équipage contourna les terrains militaires qui entouraient le camp. Les sabots des chevaux sonnèrent sur les superbes dalles de la voie Septimienne, et,