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en train de râcler une tête de bœuf ébouillantée, sur une espèce de tréteau encombré de tripailles et d’abatis. A côté, un rassemblement de forcenés entourait un vieil homme à genoux, les bras liés derrière le dos, dont un fort gaillard entr’ouvrait la bouche avec une cuiller à libations. On l’obligeait à manger des viandes consacrées, qu’un prêtre païen tout de blanc vêtu lui tendait au bout d’une fourchette.

Beaucoup de chrétiens, affolés par ces sévices, se précipitaient d’eux-mêmes au Capitole pour sacrifier. Les riches corrompaient les gens de justice et se faisaient délivrer à prix d’argent de fausses attestations de sacrifice. Des défections retentissantes attristèrent la communauté de Cirta. La couturière Euphrosyne, une veuve qui avait fait vœu de viduité perpétuelle, apostasia publiquement et se remaria avec un païen. Ceux qui persévéraient dans leur foi se voyaient en butte aux vexations des fanatiques et des prétendus intransigeants. Les faux confesseurs, ces professionnels du martyre, dès qu’ils avaient reçu quelques coups, vivaient aux dépens de la charité publique. Certains se mutilaient eux-mêmes. Ils étalaient par les rues une ivrognerie crapuleuse et plusieurs furent surpris faisant la débauche dans les églises. Au fond de sa retraite de Curube, Cyprien s’indignait de ces hontes. Dans des lettres d’une éloquence enflammée, il criait aux coupables : « Si vous n’épargnez pas vos corps sanctifiés et illustrés par la confession du Christ, épargnez au moins les temples de Dieu ! »

Mais l’arrogance de ces bandits se croyait tout permis. Soudoyés par les « faillis », par ceux qui avaient acheté des billets de sacrifice et qui désiraient néanmoins rester dans l’Église, ils se faisaient forts de les réconcilier, en leur appliquant le mérite de leur martyre, et, comme on disait, ils leur « donnaient la paix ». Ils écrivaient aux évêques et aux prêtres : « Nous, martyrs du Christ, nous donnons la paix à un tel et à tous les siens. Qu’ils soient admis dans votre communion ! » Et l’on voyait s’appro-