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nous menace, ce monde sans beauté, sans bonté, sans justice, sans amour, tu dois comprendre de quel élan je me retourne vers la douceur et la charité du Christ. Sans doute, ceux qui habitent avec l’Agneau sont encore le petit nombre. Mais lui-même l’a dit : « Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre ! » Préparons-nous donc à posséder cette terre qui nous est promise. Mettons-nous en route pour sa conquête, et si, chemin faisant, l’ennemi nous assaille, suivons encore le précepte du Seigneur : « Quand ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre ! » Car si les enfants de l’Amour sont tués par les fils de la Haine, comment le monde se sauvera-t-il, comment la lumière prévaudra-t-elle contre les ténèbres ?… Mais, si tu trouves que ce mot de « fuite » a quelque chose de blessant pour les oreilles d’un citoyen romain, dégageons le vrai sens de la pensée du Maître, et ne disons pas : « Fuyez ! » mais « Réservez-vous pour des temps plus propices ! » Toi-même tu t’es réservé jusqu’ici pour le plus grand bien de l’Église, c’est-à-dire pour élargir la société des hommes doux et pacifiques qui adorent en esprit et en vérité.

« Je t’embrasse fraternellement, frère très aimé et très désiré, et je souhaite que tu te portes bien en ton corps mortel comme dans le Christ Jésus, Fils du Dieu vivant. »

Ayant terminé cette lettre, Cécilius s’approcha d’une fenêtre ouverte sur les jardins, pour respirer la fraîcheur du crépuscule et calmer un peu la fièvre de son cerveau. Il éprouvait une joie confuse, où il entrait un peu de vanité littéraire, avec la satisfaction d’avoir dit ce qu’il croyait devoir dire. Devant lui, par-dessus les montagnes violettes, se déployait un ciel rose et bleu, où flottaient de légers nuages orangés. Une odeur chaude, enivrante et suave, montait des parterres. Elle était exhalée par de grands lis aux pistils d’or, qui, en une longue nappe de blancheur, s’enfonçaient dans la pénombre des verdures,