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CHAPITRE DOUZIÈME

d’étranges contrastes de styles différents, reliés ensemble par une volonté toute-puissante, mais non fondus. S’agit-il d’exprimer les passions inquiètes de Rognéda et de Roualde, voici les procédés tourmentés du wagnérisme qui prédominent. S’agit-il de mettre en scène les divertissements d’une cour primitive, le style aussitôt se fait très-simple d’harmonie, très-clair de mélodie et très-carré de rhythmes. Toutes les fois que reviendra l’élément chrétien, le style imitera très exactement les allures spacieuses de la musique d’église ; quelques affectations d’archaïsme se feront remarquer dans certains passages religieux ou populaires ; puis, tout redeviendra facile, pur et gracieux pour les chansons des femmes du terem… On peut dire que ces manières diverses se plaquent trop distinctement sur telles ou telles régions de l’œuvre. On ne songe pourtant pas à se plaindre des disparates, parce que chacune des nuances est toujours employée à propos : l’unité d’inspiration résulte de cette application constante à tirer sincèrement la musique du drame même. C’est l’idéal, en effet, que doit se proposer tout compositeur dramatique ; mais il ne faut pas que l'effort et la préméditation se trahissent. Or, en écoutant le drame lyrique de Rognéda, on se sent en face d’une œuvre inspirée sans doute, mais encore plus voulue qu’inspirée. Telle est l’impression générale.

Alexandre Sséroff, à la fois poète et musicien. comme l’auteur de Lohengrin, comme l’auteur des Troyens, Sséroff avait emprunté son sujet aux annales de la « vieille et sainte Russie » à l’époque de la conversion du peuple au christianisme. Le drame a des situations fort belles, mais quant à présent on me permettra de renvoyer à la longue et brillante étude