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SUR LES TOMBES DU CIMETIÈRE

vous, Vaissette, ni moi, n’avons été touchés. Le combat, c’est le domaine où règne le hasard. La mort a du moins cette équité d’emporter indistinctement les braves qui s’offrent à ses coups, et les prudents qui veulent avec elle jouer au plus fin. Avec les engins modernes on n’est pas plus exposé quand on se découvre que quand on se terre. C’est une question de chance. Et je me demande, depuis cette bataille d’hier, si la victoire elle aussi n’est pas une affaire de hasard. Les Prussiens ne nous ont pas attaqués de nouveau, après notre charge. Pourquoi ? Nous étions trente. Et je voyais avec mes jumelles des compagnies nombreuses et fraîches qui creusaient une tranchée par-delà le cours d’eau. Le général, ce matin, m’a félicité. Il a dû l’être de son côté par le commandant de l’armée. Ni lui, ni moi, ni les Allemands n’y sommes pour quelque chose. Seul le hasard a décidé !

C’était là précisément ce que se disait Vaissette. Mais il n’eût pas osé tenir à son chef des propos pareils. Aussi par calcul, et pour l’inviter à poursuivre, et par cet amour du paradoxe qui l’incitait toujours à soutenir le contraire