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LA MORT D’UN SOLDAT

courant en triangle vers la masse ennemie, comme au ciel le vol des cigognes. Nicolaï en tête de l’un, Fabre en tête de l’autre : Fabre sans béret, hors de lui, sublime, un revolver dans chaque main tendue, précédé par son ordonnance qui a jeté son sac pour courir plus vite, suivi par Vaissette qui saute les sillons et les jeunes arbres, agile et beau comme un athlète grec.

Alors, ce fut le choc et la mêlée.

Le silence a remplacé les cris d’ivresse. Derrière, le clairon époumoné sonne tout seul la charge, éperdument. On se tue sans bruit ; l’arme blanche accomplit sa besogne. Il n’y a que les hurlements de surprise, d’angoisse et de douleur. La détonation d’un revolver éclate. Tous les yeux sont dilatés. Le sang bourdonne aux oreilles. Nul ne sait ce qui se passe à côté de lui. La baïonnette pénètre d’un coup sec, sans obstacle, où elle peut, dans le ventre ou le dos. Immédiatement l’uniforme gris s’auréole d’un large cercle rouge. Quelques faits, dans cet enchaînement désordonné, frappent les yeux de Lucien Fabre : un officier allemand qui le met en joue, l’éclair des yeux bleus de ce