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L’APPEL DU SOL

malgré les trouées sanglantes de son front, irrésistible, comme animée d’une volonté invincible.

— Ils vont nous déborder, grogna Fabre.

En dépit des ravages de son tir, les uniformes gris passaient la rivière. Des cadavres s’y enfonçaient. La nappe étincelante se marbrait de rose.

Soudain, le lieutenant s’arrêta, l’oreille tendue vers l’ennemi : un bruit étrange venait de lui parvenir.

Un roulement sourd que perçaient par moments des notes aiguës. Les fifres et les tambours et le chant des soldats prussiens. Une mélopée lente, qui, montant de la vallée, emplissait le paysage. Ils chantaient un cantique, quelque choral de Luther. On eût dit le rythme d’une marche funèbre.

La clameur devient plus intense, plus rapide. Le chant fait place à des cris. Il y a des hurlements. La musique monotone des fifres domine tout : leurs sons stridents retentissent comme des appels à quelque sabbat.

Des compagnies entières ont franchi le cours d’eau. Elles s’étendent le long des rives à