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LA MORT D'UN SOLDAT

— Je sens en effet, répondit Lucien, une inquiétude magnifique et sombre.

— Voyez-vous, mon enfant, reprit le vieil officier, chaque minute qui passe est une victoire sur nous-même. Il y a là de quoi alimenter toute une vie de souvenirs…

Ils ne parlèrent pas davantage. L’ennemi débouchait sur les berges.

— Je vous laisse le commandement de vos chasseurs, fit le capitaine. Moi, je n’ai rien à faire, qu’à attendre de l’état-major les renforts ou les ordres, qui ne parviendront pas. Je ne suis ici qu’en spectateur…

Fabre commandait ses feux. Ses hommes éprouvaient son ascendant. Il était gai et paraissait insouciant, surveillant les hausses, se promenant sans hâte derrière les tireurs.

Les balles partaient. D’autres arrivaient en un bourdonnement d’abeilles. Des lignes entières d’ennemis s’allongeaient ; elles ne se relevaient point pour un nouveau bond. Pas un Allemand n’avait pu arriver jusqu’à l’eau. Mais des groupes surgissaient de tous les bouquets d’arbres, de tous les carrés d’avoine, de tous les sillons. La masse profonde avançait