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L’APPEL DU SOL

de si loin, le déconcertaient. Il connaissait à fond son métier. Jamais il n’eût pensé qu’on pût employer contre des troupes de l’artillerie lourde. Les Allemands inauguraient là une tactique nouvelle, qui l’inquiétait.

Le sous-lieutenant Fabre se taisait. Pour la première fois, il venait de réaliser ce qu’était la mort. Il ne tirait point de déduction profonde, mais les visions de la journée l’accablaient. Il se rappelait la main crispée du caporal enfoui dans le trou du premier obus. Il voyait le crâne saignant d’un de ses chasseurs, la cervelle maculant le béret, l’agonie de l’homme, la pauvre alliance prise au doigt pour la renvoyer à la femme, la lettre à écrire. Pendant le bombardement, il avait discouru avec Vaissette. À présent, il avait sommeil.

— L’embêtant, poursuivit Serre, c’est qu’on n’a pas de journaux. Il faudrait savoir ce qu’ont fait les Russes depuis trois jours.

Le capitaine ne répondait pas : il suivait son idée. Il dit enfin :

— Nous n’avons prévu l’emploi de canons lourds que contre les fortifications.

Il restait rêveur.