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LES PRISONNIERS

taine, vous qui n’avez point, comme moi, celle de la résurrection. Par conséquent, ne rougissez pas, tout en haïssant nos ennemis, d’avoir pitié de ces prisonniers : et ils sont désarmés !

— Regardez nos hommes, fit Vaissette, ils ont de la curiosité, mais aucune aversion. Ils sentent qu’il y a là une humanité pitoyable qui est allée au-devant du sacrifice avec une grandeur puissante et résignée comme la leur. C’est la misère de ces générations qui perçoivent, en se tuant, ce qu’il y a de noble chez leur adversaire. Nos chasseurs veulent des hécatombes d’ennemis et ils ne font point de distinction entre les dirigeants et le peuple, qu’ils exècrent également. Mais en exécrant le peuple, ils plaignent l’homme. La patrie les inspire ; ils sont ses héros et ses vengeurs : cela ne les empêche pas de sentir que ce qui les sépare de leurs ennemis est une haine passagère, tandis que ce qui les unit, leur misère et leur servitude, est éternel. Ils les absolvent en la profondeur de leur âme, comme la terre, qui a fait pourtant, elle-même les patries, rassemble les corps de tous les ennemis dans son sein.