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L’APPEL DU SOL

où, de temps en temps, on allait puiser un bol. Elle laissa la maison reluisante aux officiers. C’était un cantonnement idéal. On pourrait déjeuner et dîner à son aise dans la salle à manger où trônaient de vieux meubles flamands. On aurait chacun une chambre avec un lit et des draps blancs pour se coucher. Une telle perspective était de nature à vous attendrir.

Les officiers se mirent à table. Ces quelques jours devaient être une détente. L’idée de la mort, pourtant, ne les quittait pas. Le tonnerre continu de l’artillerie la rendait toujours présente, ainsi que l’annonce de la prochaine attaque : le terrain, autour de la maison, où montaient en graines les betteraves, où s’épanouissait le chiendent, était labouré par les obus, éventré par les trous des projectiles, transformé en mares, tout imprégné de sang. L’engourdissement de ces heures de tranquillité ne pouvait empêcher de revivre les souffrances passées, de craindre l’effort prochain, vague encore, mais qu’on redoutait déjà comme une condamnation : sa menace oppressait, pesait sur tous les gestes et toutes les pensées.