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L’ENNUI DANS LA TRANCHÉE

lants, apportant des soupes immangeables. Les heures semblaient des siècles, elles se succédaient pourtant. On grelottait. On était assis sur un marchepied de terre glaise, les pieds dans l’épais liquide du fossé. On s’abritait avec une couverture aussi mouillée que les vêtements. Que faire ? Quelques pas pour se distraire. Regarder le brouillard nocturne. C’est tout.

La nuit est passée ; le jour est presque aussi obscur, et tout aussi terne, et tout aussi humide, et tout aussi froid, et tout aussi long.

Il y a, à l’arrière, des maisons où les parquets de bois sont cirés, des tapis et des cheminées, et des lits avec des draps. Il y a des jardins dont le soleil chauffe les arbres en fleurs…

Sous le ruissellement continu, les plus bavards se sont tus. La tranchée a le silence des cimetières sous la pluie. Les hommes courbent la tête docilement sous le bombardement et sous l’averse, les pieds gelés, le dos rond. Ils n’ont point de murmure. On dirait qu’ils se sont faits à cette vie. Ils ne pensent à personne, à rien. Ils subissent sans s’étonner la chute torrentielle de l’eau comme le dérou-