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À L’AMBULANCE

en éprouvaient plus de répugnance, mais accomplissaient leur besogne avec autant de piété. Il fallait faire vite. La puanteur était déjà terrible. L’odeur fade du charnier, qui pourrissait au soleil, emplissait la campagne.

Et l’on enterrait les chevaux, leurs membres raidis, leurs jambes dressées, solides comme des barres de fer, leur ventre énorme, près d’éclater. On les arrosait de pétrole ; on les brûlait ; les chairs grillaient. On cassait ou l’on sciait les os.

Et tout retournait à la terre.

C’était là ce champ de bataille. Il frissonnait de vie et de fièvre quand la mort déferlait. Il avait à présent la tristesse immense des choses inertes. Et ce qu’il y avait de plus lamentable ce n’était peut-être pas l’amoncellement des munitions usées, des équipements abandonnés, la jonchée des cadavres : c’étaient les innombrables bouteilles cassées qui jalonnent le passage des troupes prussiennes, les matelas et les fauteuils arrachés des foyers pacifiques et traînés dans la tranchée, mille objets épars dont on ne s’expliquait pas la présence, une table debout sur trois pieds, des jupes noires