Page:Bertrand - L'appel du sol, 1916.djvu/224

Cette page a été validée par deux contributeurs.
210
L’APPEL DU SOL

morts. Quelques civils les aidaient. Des groupes parcouraient la plaine, se baissaient, mettaient un cadavre sur la civière, allaient le jeter dans la tranchée ; d’autres la remplissaient de chaux, la recouvraient de terre. Il y avait déjà tout un peuple de croix marquant les tombes par les champs.

On enterrait d’abord les nôtres. Les taches écarlates et bleues de leurs pantalons et de leurs capotes diminuaient : les fossoyeurs étaient actifs. Et la tristesse en devenait plus grande. Leur uniforme éclatant, qu’illuminait le soleil, c’était encore un peu d’eux-mêmes, de ce qui avait été leur être vivant. Maintenant tout disparaissait d’eux. Il ne restait rien de leur dévouement inconnu et de leur faste sans nom. La terre sacrée recouvrait leur dépouille, entourait jalousement de ses grains et de sa poussière leurs corps de martyrs. Le sol reprenait ses fils qui venaient de mourir pour lui. Il avait exigé le grand sacrifice. Il avait bu le sang des victimes, tombées sur les herbes, les sillons ou les javelles, comme sur des autels. Il les recueillait en son sein impassible et paternel.

On enterrait aussi les autres. Et les soldats