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PAROLES AVANT LA BATAILLE

Fabre revoyait sa jeunesse, de petits incidents de son enfance, la figure de sa mère.

— Ma mère, dit-il à Vaissette, était très blonde. J’avais l’âme si tourmentée, quand j’étais petit que je pleurais, le soir, à l’idée qu’elle pouvait mourir. Et voici que je mourrai sans doute avant elle. Un jour…

Il ne poursuivit pas, tout à ses souvenirs. On l’écoutait pourtant. Et ces hommes rudes redevenaient des enfants. Ils avaient la simplicité de l’enfance. Ils avaient besoin de se faire des confidences. Et ils passaient ainsi des hautes spéculations à la puérilité de propos naïfs. Le capitaine de Quéré, lui-même, se rappelait avec émotion la lande bretonne, son âpre désert, son peuple d’ajoncs au bord des marécages, les cris tristes des grenouilles et des crapauds, toutes les terreurs du vent et de la nuit dans les salles du manoir paternel.

— Nous étions très pauvres, raconta Vaissette. Quels sacrifices on a faits pour m’élever ! On ne se passait aucune fantaisie à la maison. Une fois, c’était ma fête, mes parents n’avaient même pas pu m’acheter un souvenir. On m’expliqua la dureté de la vie, la nécessité des