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lui dit-il froidement. Rien ici ne peut vous appartenir » ; et dès le lendemain, après lui avoir dérobé la cassette, sans songer à son sort ni à son avenir, il lui envoya par un laquais l’ordre de quitter le château. Sans se plaindre, sans rien réclamer et certaine d’un accueil empressé, elle reprit sa place au foyer de Claude Lespinasse. Peu de temps après, elle entra comme gouvernante chez une parente de sa mère, belle-sœur de Mme du Deffant. Mme du Deffant vint passer quelques mois chez son frère ; elle remarqua cette jeune fille plutôt laide que jolie, intelligente et fière, mûrie par le malheur et sachant opposer à des humiliations continuelles une inaltérable patience et une dignité impassible. Mme du Deffant, émue et charmée, lui proposa près d’elle la situation de demoiselle de compagnie, en y mettant la condition bien inutile de ne jamais inquiéter par la revendication de ses droits une famille dont elle était l’amie.

Tout alla bien pendant plusieurs années. Jeune, spirituelle, gracieuse sans être belle, Mlle de Lespinasse faisait honneur à sa protectrice, qui, fière de ses succès, aimait à la produire et à se parer d’elle. Dans cette maison où l’esprit était roi, la charmante causeuse, traitée en princesse, devait avoir le désir de régner. Le salon de Mme du Deffant devenait celui de Mlle de Lespinasse. La maîtresse de la maison se levait tard ; avant cinq heures sa porte était fermée. Mlle de Lespinasse ouvrait la sienne, oubliant que c’était la même. Ses admirateurs venaient