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respondance raconta une anecdote invraisemblable qu’il faut croire vraie, puisque d’Alembert, qui en est le héros, l’a racontée lui-même, dans une lettre écrite à Condorcet sur Mme Geoffrin.

« Un jeune homme, à qui Mme Geoffrin s’intéressait, jusqu’alors uniquement livré à l’étude, fut saisi et frappé comme subitement d’une passion malheureuse qui lui rendait l’étude et la vie même insupportables ; elle vint à bout de le guérir. Quelque temps après, elle s’aperçut que ce jeune homme lui parlait avec intérêt d’une femme aimable qu’il voyait depuis peu de jours. Mme Geoffrin, qui connaissait cette femme, l’alla trouver : « Je viens, lui dit-elle, vous demander une grâce ; ne témoignez pas à *** trop d’amitié ni d’envie de le voir ; il deviendrait amoureux de vous ; il serait malheureux ; je le serais de le voir souffrir et vous souffririez vous-même de lui avoir fait tant de mal. » Cette femme, vraiment honnête, lui promit ce qu’elle demandait, et lui tint parole. »

La bonne Mme Geoffrin savait ce qu’elle faisait ; elle connaissait d’Alembert mieux que nous, elle connaissait aussi la dame ; elle leur a sans doute rendu service à tous deux. D’Alembert lui en a su gré ! c’est le trait le plus singulier de cette singulière anecdote. Quoi qu’il en soit, dans cette société et dans ce siècle où les liaisons avaient peu de mystère, lorsque autour de d’Alembert ses amis offraient leurs cœurs à de très honnêtes dames qui pour l’accepter ne se cachaient guère, on ne lui a connu qu’une seule