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c’est qu’il est tombé dans la plus profonde mélancolie.

« Son âme ne se nourrit que de tristesse et de douleur. Il n’a plus d’activité ni de volonté pour rien ; en un mot, il périt si on ne le tire par un effort de la vie qu’il mène. Ce pays-ci ne lui présente plus aucune dissipation ; mon amitié, celle des autres, ne suffisent pas pour faire la diversion qui lui est nécessaire. Enfin nous nous réunissons tous pour le conjurer de changer de lieu et de faire le voyage d’Italie ; il ne s’y refuse pas tout à fait, mais jamais il ne se décidera à faire ce voyage seul, moi-même je ne le voudrais pas. Il a besoin des secours et des soins de l’amitié et il faut qu’il trouve cela dans un ami tel que vous, monsieur. »

Mlle de Lespinasse ne pouvait ignorer la cause véritable de la tristesse de d’Alembert.

« Mon amitié, dit-elle, ne suffit pas à faire la diversion nécessaire. » C’est son amour qu’il aurait fallu. Elle lui avait donné le droit d’y compter, et depuis deux ans déjà, tout entière au jeune de Mora, âgé de vingt-deux ans, elle tourmentait d’Alembert, qui ne devinait rien, par ses humeurs fantasques et la dureté de ses refus.

D’Alembert, pressé par ses amis et par ses médecins, se décida à partir. Sa fortune ne lui permettait pas de faire à l’improviste une aussi grosse dépense ; il écrivit à Frédéric :

« Ma santé dépérit de jour en jour. À l’impossibilité absolue où je suis de me livrer au plus léger