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cependant l’insensibilité affectée du sceptique railleur, sous lequel quelques contemporains ont méconnu l’homme tendre et bon. « Que voulez-vous ! dit-il à Chabanon : vous avez commencé par être heureux ! » Et il ajoute de la voix de fausset qui lui était particulière : « C’est toujours la fiche de consolation ».Mais, ému par le désespoir de son ami, il prend aussitôt un autre ton : « Mon ami, lui dit-il, il faut éviter de rester avec vous-même. Jetez là les livres, voyez vos amis, courez, distrayez-vous. Toutes les fois que je vous serai nécessaire, je quitterai avec plaisir mon travail, et nous irons nous promener ensemble. »

Pourquoi les sentiments de d’Alembert avaient-ils changé ? Les œuvres de Chabanon l’expliquent. D’Alembert ne se résignait pas, par amour pour l’Académie, à y voir siéger l’auteur d’Éponine. Chapelain-Lemierre et Cotin-Chabanon finirent tous deux par forcer la porte : le meilleur des deux — c’était Chapelain — ne passa que le second.

Cette double victoire remportée sur d’Alembert le justifie du reproche adressé par un écrivain qu’on n’a pas encore complètement oublié, Sénac de Meilhan, qui a écrit :

« L’intrigue et la cabale mirent dans les mains de d’Alembert, qui survécut à Voltaire, le sceptre de la littérature. »

Rien n’est juste dans cette phrase et rien n’est vrai, sinon que d’Alembert a eu le chagrin d’assister à la mort de Voltaire.