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XLVIII
INTRODUCTION

extrêmes, appelées anomalies, dont les diverses parties de cet organe sont si souvent le siège, doivent être l’objet d’une remarque en tout état de cause. Si les instructions et les rubriques de la fiche sont si explicites sur cette partie du visage, c’est qu’aucun organe ne lui est supérieur pour assurer la reconnaissance d’un sujet à un grand nombre d’années d’intervalle.

Mais là où les mérites transcendants de l’oreille pour l’identification apparaissent le plus nettement, c’est quand il s’agit d’affirmer solennellement en justice que telle ancienne photographie « est bien et dûment applicable à tel sujet ici présent ». On peut dire en effet que, grâce d’une part à l’immuabilité de la forme de l’oreille à travers la vie, et de l’autre au très grand nombre de variétés de configuration qu’elle présente, il est impossible de trouver deux oreilles semblables et que l’identité de son modelé est une condition nécessaire et suffisante pour confirmer l’identité individuelle[1].

C’est là une vérité qui résulte pour nous de dix années d’expérience. Mais pour la faire pénétrer dans la conscience d’un tribunal, ou pour en imprégner le sens pratique des policiers, l’affirmation, même la plus catégorique, est insuffisante. Il faut pour amener cette conviction intime qu’une initiation préalable étayée sur le contrôle expérimental ait montré à chacun la justesse du fait. Comment, par exemple, un fonctionnaire pourrait-il être à même d’apprécier le degré plus ou moins grand de certitude d’identité qui résulte de la présence concomitante sur deux photographies d’oreille, d’un antitragus à inclinaison horizontale et à profil rectiligne, s’il n’a pas vérifié depuis longtemps que le même point pourrait tout aussi bien se profiler suivant une ligne saillante à direction générale, oblique. S’il ignore la série de toutes les formes possibles d’antitragus une similitude de ce genre ne lui dira rien ; il la croira naturelle, normale, offerte par tous à peu d’exceptions près. Le plus souvent même, ne connaissant pas l’importance signalétique de ce détail de structure, son œil ne l’apercevra même pas sur le sujet : c’est que l’oreille qui, avons-nous dit, est l’organe d’identification le plus puissant, est en même temps celui qui attire le moins les regards du vulgaire. Notre œil a aussi peu l’habitude de la regarder que notre langue de la décrire. Or ce qui échappe à notre langage

  1. Voir, à ce sujet, dans l’Album, les 96 photographies d’oreilles, toutes différentes, reproduites en dimensions demi-nature, d’après des types existants. — Exception doit être faite pour les jumeaux (Album, Pl. 60b).