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jardin la singulière apparition de cet homme, on le fit transporter l’hospice le plus voisin.

Cependant les amis de Frédéric Hölderlin se demandaient avec  anxiété, en Allemagne, ce qu’était devenu le grand poète auquel Schiller  avait prédit de si brillantes destinées ! Durant cinq années, personne  n’en reçut de nouvelles. Ce temps écoulé, Mathison travaillait un matin assis à son bureau, lorsque tout à coup sa porte s’ouvrit brusquement. Il vit, dit-il, apparaître un homme en haillons, pâle, maigre, l’œil hagard et dont il s’efforçait vainement de reconnaître les traits.  Cet homme croisa les bras sur sa poitrine et regarda stupidement Mathison… Tout à coup il marche en silence vers la table, prend un livre,   essaie de le lire et rejette le volume. Puis, il se relève, étend les bras,   et crie d’une voix sauvage :

— Frédéric Hölderlin ! Frédéric Hölderlin ! et disparaît. Alors seulement Mathison reconnut son malheureux ami. 

Toutes les recherches de l’écrivain pour découvrir l’infortuné restèrent inutiles. Hölderlin était parti aussitôt pour Heislingen, où sa mère, éperdue de joie, se jeta dans les bras du fils qu’elle revoyait après tant  d’années de séparation. Frédéric, sans lui rendre ses caresses, sans prononcer un mot, la prit par les épaules, la jeta brutalement dehors, ferma  et barricada la porte, et refusa d’ouvrir, malgré les supplications de sa  mère, malgré les sommations que lui adressèrent les gens de la police.  À la fin, on prit le parti d’escalader la fenêtre, et l’on trouva Frédéric  Hölderlin couché au milieu de toutes les lampes et de toutes les bougies  de la maison qu’il avait allumées ; il vidait à pleines gorgées des bouteilles de vin et de liqueurs. Il était fou !