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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Fleuriot, il avait été préservé des terribles morsures d’un chien enragé. Les détails qu’il donna sur le danger de sa situation, sur la terreur qu’il avait éprouvée, étaient de nature à produire de l’impression sur une femme ; cependant, Fanny l’écoutait en haussant les épaules, et, quand il eut achevé son récit, elle partit d’un nouvel éclat de rire.

— Ce pauvre vicomte ! s’écriait-elle ; je crois le voir assiégé au pied d’un arbre par cette laide bête, un bras en l’air, un pied levé et la bouche béante ! Quelle mine piteuse il devait avoir ! Si je savais peindre, je le prendrais pour sujet d’un tableau qui arracherait des larmes à tous les yeux, ferait dresser les cheveux sur toutes les têtes… Quelle scène dramatique ! L’élégant Hector de Cransac se mesurant avec un roquet !

Le vicomte, en certain cas, aimait assez à railler les autres ; mais, comme il arrive d’ordinaire, il supportait difficilement la raillerie. Aussi lança-t-il à Fanny un regard foudroyant.

— Assez, madame, lui dit-il ; l’aventure peut vous pa raître plaisante, mais je n’en juge pas de même, et je ne consentirai jamais à trahir l’homme courageux qui m’a sauvé de ce péril.

— À votre aise, monsieur, répliqua Fanny qui cessa de rire tout à coup ; renoncez, și vous en avez la fantaisie, à un projet qui pouvait relever votre fortune. Seulement vous ne trouverez pas mauvais que j’en poursuive l’exécution pour mon propre compte… Partez quand vous voudrez, moi je reste.

— Quoi ! Fanný, vous voulez…

— Je veux avoir ce livre des signaux, et je l’aurai. Colman a promis d’en donner deux cent mille francs, et il doit lui importer peu que vous ou moi, ou toute autre personne, le lui apporte. Ce sera moi qui le lui apporterai, et j’aurai seule droit à la récompense promise.