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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Qu’avez-vous fait de cette habileté si vantée, de cet esprit lucide et sans préjugés qu’on admirait chez vous autrefois ? Êtes-vous bien le même Hector de Cransac qui a conçu l’idée hardie de faire servir les télégraphes de l’État à ses spéculations personnelles, et qui a réalisé cette idée avec tant de bonheur ?… Si encore ces scrupules étaient fondés, s’il y avait une apparence d’injustice dans vos procédés envers ces gens ! Mais, je vous le demande, quel tort causerez-vous à ce ridicule Fleuriot en vous rendant maître d’un objet sans utilité pour lui ? L’inspecteur qui le premier a trompé sa confiance en s’emparant de sa découverte, pourrait seul avoir quelque chose à se reprocher, au point de vue de la morale ; mais vous, quel dommage porterez vous à Fleuriot si vous parvenez à mettre la main sur le livre dont il n’a que faire ?… Et puisque réellement vous éprouvez à ce sujet certains tiraillements de conscience, qui vous empêchera, après le succès, d’envoyer à ce jeune homme quelques billets de mille francs prélevés sur l’argent de Colman ?

Le vicomte tourna deux ou trois fois dans la chambre sans répondre. Fanny crut qu’il hésitait, mais elle fut bien tôt détrompée.

— Non, dit-il d’un ton ferme ; ces protestations de conscience, dont vous faites si bon marché, sont plus sérieuses que vous ne pensez, Fanny. J’ai pu me laisser aller à l’entraînement des circonstances, mais j’éprouve parfois de douloureux retours… Enfin, s’il faut le dire, j’ai contracté aujourd’hui envers Raymond Fleuriot une obligation que je ne pourrais oublier sans être le plus vil des hommes.

— Ah ! ah ! il y a donc autre chose que ces regrets vertueux qui ont le tort de venir trop tard ?… Et peut-on savoir, monsieur le vicomte…

— Ce n’est pas un secret, car tout le pays doit connaître déjà l’événement dont il s’agit.

Il raconta comment, par le courage et le sang-froid de