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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

surprise en voyant Cransac s’opiniâtrer dans sa détermination.

— Pour Dieu ! monsieur, répliqua-t-elle avec aigreur, que s’est-il passé et sur quelle mauvaise herbe avez-vous marché aujourd’hui ? Allez-vous renoncer ainsi à une affaire qui nous a déjà coûté tant de sacrifices, dont le succès semble indubitable et prochain ? D’où vient ce revirement inattendu ? C’est de la démence.

— Démence ou non, j’y suis décidé ; qu’on ne m’en parle plus !

— Mais enfin, d’où vient ce changement inconcevable ? Hier encore, vous me disiez… Voyons, Hector, si vous avez une bonne raison, une seule, pour justifier un pareil caprice, je vous supplie de me l’apprendre.

— Eh bien ! Fanny, j’en conviens, mon unique motif est le dégoût que m’inspire la mission dont je me suis chargé sans réflexion. Je ne m’inquiète guère, vous le savez, de certaines banalités de morale. Cependant quelque chose en moi se révolte à la pensée de tromper hypocritement un pauvre garçon et une honnête famille, de m’abaisser à mentir pour dérober leur bien à des gens simples et confiants… Appelez comme vous voudrez le sentiment auquel j’obéis ; mais, par moments, je me souviens que je suis gentilhomme. Cette duplicité éveille en moi une invincible répugnance, et je veux y mettre un terme.

La jeune femme ouvrit d’abord de grands yeux étonnés, puis elle partit d’un éclat de rire.

— Parfait ! s’écria-t-elle avec ironie ; je reconnais le descendant des preux, je crois entendre répéter les nobles devises des chevaliers français : « Plutôt la mort que le déshonneur ! » « Fais ce que dois, advienne que pourra ! » « Tout pour la gloire !… » et quoi encore ? Sur ma foi ! cher vicomte, vous nous ramenez aux croisades, tout au moins au chevalier « sans peur et sans reproche… » Mais, par pitié, Hector, d’où vous viennent ces scrupules gothiques ?