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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

suspension d’un quart d’heure dans l’envoi des dépêches ; et, ma foi ! si les employés sur la ligne de Bordeaux à Paris sont aussi fatigués que moi, ils doivent accueillir comme un bienfait ce moment de récréation.

En même temps il déposa sa lunette sur un guéridon, se leva et se mit à se détirer les bras et les jambes d’un air de soulagement. Puis, après avoir jeté un nouveau coup d’œil sur la pendule, afin de ne pas laisser passer le quart d’heure indiqué, il s’approcha de Fanny :

Eh bien ! ma charmante, reprit-il avec gaieté, qu’y a-t-il donc ?… Des diables bleus, des papillons noirs ?

— En vérité, monsieur, il est fort heureux pour moi que le télégraphe vous accorde quelques minutes de repos ; c’est à peine si vous avez daigné vous apercevoir de ma présence aujourd’hui.

Le vicomte s’assit sur un carreau à côté du hamac, et, prenant une jolie main qui retombait inerte le long du filet d’écorces, il la porta distraitement à ses lèvres.

Voyons, Fanny, reprit-il, je ne vous ai jamais vue aussi maussade ! Que vous manque-t-il ? Que pouvez-vous souhaiter ? Ai-je résisté à un seul de vos caprices ? La mauvaise humeur de la jeune femme ne tint pas devant une soumission si complète, et un faible sourire se joua sur ses lèvres.

— J’ai tort peut-être, reprit-elle languissamment ; excusez-moi, Hector… Mais, s’il faut le dire, je m’ennuie… j’ai « du vague dans l’âme. »

L’expression était à la mode en ce temps-là ; cependant le vicomte n’en parut point ému et garda le silence.

— Ah ! monsieur, continua Fanny avec un profond soupir, quelle existence vous m’avez faite ! Cransac perdit patience.

— Je ne vous comprends pas, ma chère, reprit-il assez sèchement ; l’existence que je vous ai faite n’est déjà pas si misérable, ce me semble. N’êtes-vous pas merveilleuse-