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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

avait dû le confier à son chef immédiat, un inspecteur nommé Ducoudray. Enfin elle raconta la disgrâce où était tombé Fleuriot à la suite de cette tentative, disgrâce qui les avait obligés à quitter leur cher pays de Touraine pour venir en exil dans les landes de Puy-Néré. Depuis ce temps, madame, acheva-t-elle, mon pauvre frère est sombre, découragé, humilié. Il se montre toujours plein d’affection pour ma mère et pour moi ; il travaille nuit et jour afin de nous assurer un peu de bien-être ; mais il est visible que Raymond n’attend, n’espère plus rien, qu’il n’a plus ni ambition, ni désirs ; et ce découragement insurmontable est pour nous une cause de poignante affliction.

En parlant ainsi, la gentille maîtresse d’école essuya quelques larmes qui roulaient sur ses joues.

— Voilà donc, chère demoiselle, reprit Fanny d’un ton caressant, la cause de cette mélancolie que tout le monde remarque chez M. Raymond Fleuriot ! Vous avez eu raison de m’en faire la confidence ; peut-être ne vous en repentirez-vous pas… J’entrevois dans cette affaire quelque chose qui mérite un sérieux examen. Êtes-vous sûre, par exemple, Lucile, que le système de votre frère soit aussi absurde, aussi extravagant qu’on l’a prétendu ? Cet inspecteur auquel M. Fleuriot avait confié son manuscrit ne se serait-il pas approprié un travail consciencieux, utile, digne d’éloges, et n’en aurait-il pas pris pour lui la récompense ?

— Cette idée nous est venue déjà, madame la marquise. On n’aime pas à soupçonner le mal ; mais, lorsque nous avons été envoyés dans ce pays, M. Ducoudray, l’inspecteur, a obtenu un avancement considérable, et il est aujourd’hui un des chefs les plus influents de l’administration. Peut-être mon frère lui-même soupçonne-t-il une infamie de ce genre, quoiqu’il n’en dise rien, et c’est là une des causes de sa misanthropie.