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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

La classe était dans l’attente, quand la bonne vieille maman Fleuriot vint annoncer tout effarée et en rajustant son bonnet de linge que « madame la marquise » montait la rue. Aussitôt il se fit un profond silence, tous les cols se tendirent, et, quand la soi-disante marquise entra, on se leva d’un commun mouvement.

La châtelaine, avec un tact dont il fallait lui savoir gré, avait choisi pour l’exercice de ses nouvelles fonctions une mise des plus simples. Une robe de mousseline peinte, sans falbalas, un chapeau garni de deux ou trois fleurs champêtres, un fichu de dentelles, formaient sa toilette. Cependant elle apparut à ces pauvres enfants campagnards comme la fée toute-puissante de ces contes qu’on leur narrait le soir au coin du feu, et ils étaient fort disposés à prendre pour la baguette traditionnelle l’ombrelle de soie qu’elle tenait à la main et dont l’usage leur était parfaitement inconnu.

Fanny, en voyant la classe en émoi et l’institutrice venir cérémonieusement au-devant d’elle, éprouvà quelque orgueil des honneurs qu’on lui rendait. Elle, la femme galante, la beauté compromise des réunions parisiennes, elle usurpait dans cet obscur village la considération, les respects auxquels ont droit les dames bienfaisantes et honorées qui accordent leur protection à l’enfance pauvre. Aussi était-elle d’une humeur charmante en écoutant le compliment de Lucile, et elle s’installa dans le fauteuil de la maîtresse, pendant que celle-ci se contentait d’une chaise basse ; puis elle procéda avec une certaine dignité à la distribution des récompenses.

Chaque élève, fille ou garçon, fut appelé à son tour. L’institutrice accompagnait la présentation d’une note biographique fort spirituellement tournée, et Fanny, prenant au sérieux son rôle de dame inspectrice, décernait l’éloge ou le blâme. Mais comme l’éloge ou le blâme était également suivi d’un cadeau analogue à l’âge et au sexe de l’en-