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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

qu’une chemise et un pantalon ; mais il faisait si chaud ! Et puis l’excès de vêtements nuit au développement de l’enfance.

Nous devons pourtant dire tout bas au lecteur que, sur l’annonce d’une visite, Lucile et sa mère avaient procédé sommairement à la toilette des plus débraillés. On avait rattaché un bouton par ci, tiré un lacet par là. Certaines têtes blondes avaient été frisées à la chérubin avec un peu d’eau ; certains visages roses et mutins avaient été impitoyablement débarbouillés. Aussi, tout ce petit monde avait-il un air de santé et de fraîcheur. D’autre part, en apprenant qu’une « belle dame » allait venir les voir, leur apporter des jouets et des bonbons, les enfants demeuraient frappés de respect sur leur banc et tournaient la tête au moindre bruit du dehors pour s’assurer si « la belle dame » n’arrivait pas.

Ce jour-là donc, la jeune maîtresse d’école n’eut aucune peine à maintenir l’ordre dans son gentil troupeau. Lucile occupait le fauteuil magistral, d’où son regard pouvait surprendre tous les méfaits, et elle n’était pas le personnage le moins gracieux du tableau. Elle n’avait pourtant d’autre parure que cette robe d’indienné dont nous avons parlé, et ses beaux cheveux noirs, qu’elle savait arranger avec un goût exquis. Comme ses yeux pleins de douceur, sa bouche souriante, son ton gai et caressant, n’eussent peut-être pas imposé suffisamment à certains rebelles de l’un et de l’autre sexe, elle avait appuyé au bras du fauteuil une longue baguette de coudrier, soigneusement ratissée, dont la vue devait frapper de terreur le vice et l’insubordination. Cette baguette n’était qu’un emblème, comme celle que portaient autrefois les alcades espagnols, et de mémoire d’enfant elle n’avait servi. Cependant on la brandissait d’une manière formidable dans certaines circonstances graves ; et son sifflement n’avait jamais manqué de faire rentrer dans le devoir les criminels les plus endurcis.