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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

était absente, j’ai vu de loin vos manœuvres… Vous n’avez pas été mordu, j’espère ?

— Non, grâce au ciel ; mais cette infernale bête me poursuit avec un acharnement… Prenez mon fusil, qui est là bas sur la bruyère, et délivrez-moi au plus vite.

— Votre fusil est-il chargé ?

Non, mais je vais vous jeter mon sac à plomb et ma poire à poudre.

— Bah ! est-il besoin d’une arme pareille avec un misérable avorton de chien tel que celui-ci ?

Tout en parlant, Fleuriot élevait sa canne et épiait l’occasion pour en porter un coup mortel à Grélu.

Celui-ci, quoiqu’il ne cessât de tenir Cransac assiégé au pied de l’arbre, n’avait pas moins remarqué la présence du nouveau venu ; mais, chose bizarre, il ne montra pas un instant l’intention de l’attaquer. C’est qu’en effet, lorsque ces intelligentes et affectueuses bêtes de la race canine sont prises d’hydrophobie, un instinct qui survit aux plus effroyables accès les empêche souvent de rendre leurs maîtres et les amis de leurs mailres victimes de la frénésie. Or, Grélu avait vu souvent Fleuriot en compagnie de Morisset ; il avait reçu de lui du pain et des caresses ; il le considérait comme un ami, et, dans ce moment terrible où le vertige dominait ses instincts ordinaires, il voulait encore l’épargner. Toute sa fureur aveugle, indomptable, se tournait contre Cransac, cet étranger, cet inconnu que le hasard avait jeté sur son chemin.

Il continuait donc d’aller et de venir autour de lui avec obstination. De son côté Fleuriot, chez qui le courage n’excluait pas la prudence, attendait l’occasion favorable pour assommer Grélu d’un seul coup. Comme il tardait à frapper, le nerveux Parisien, épuisé par ces longues émotions, sentit un nuage passer devant ses yeux.