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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

frayait pas outre mesure, et il l’eût bravée dans certaines circonstances. Toutefois, en acquérant la certitude que ce faible et chétif animal était vraiment atteint de la rage, il fut pris d’une violente terreur. Il savait que la moindre morsure, même le simple contact de cette bête immonde, pouvait le condamner à d’effroyables souffrances, faire de lui un objet de dégoût, et la mort sous cet aspect lui causait une répulsion invincible.

Aussi resta-t-il le bras levé, les yeux fixés sur Grélu, qui le regardait lui-même de son vil sanglant et déjà vitreux. Pour distraire son attention et essayer de battre en retraite, Cransac lui abandonna le canard, objet du litige ; mais Grélu ne s’en occupait plus ; Ja pauvre tadorne étant déchirée et sans mouvement, ces débris informes n’excitaient plus sa colère. C’était maintenant au chasseur qu’il en voulait ; immobile, le cou tendu, grondant tout bas avec une sorte de hoquet convulsif, il semblait vouloir à chaque instant s’élancer sur lui ; mais il demeurait fasciné par le regard de Cransac, en même temps que cette houssine levée sur lui contenait encore les excitations puissantes de la rage.

Toutefois, la position du vicomte devenait des plus gênantes et des plus dangereuses. Son fusil était resté sur la berge, et d’ailleurs il n’était pas chargé. Cransac, n’osait frapper même de son inoffensive baguette, de crainte que la douleur ne déterminât Grélu à lui sauter à la gorge ; mais il n’osait non plus baisser le bras, car évidemment c’était son geste menaçant qui arrêtait le chien. Il voulut tourner la tête pour chercher du secours ; aussitôt que son œil cessait deiasciner Grélu, celui-ci faisait un mouvement d’attaque, et il ne reprenait sa première attitude qu’en voyant son adversaire le regarder de nouveau.

Comment sortir de celle situation ? Cransac éprouvait quelque honte d’appeler à son aide ; d’ailleurs qui eût pu