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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Il faisait très-chaud, comme nous l’avons dit, et ces allées et venues continuelles ne laissaient pas de fatiguer le chasseur. Aussi s’impatieniait-il de l’inutilité de ses recherches quand un bruit étrange et comme souterrain se fit entendre à ses pieds. On eût dit du grognement que produit le lapin quand, chargé par le furet sanguinaire, il va sortir de son trou. Cransac s’arrêta et se mit en devoir de tirer.

Dans un talus sablonneux formant la berge de l’étang, s’ouvraient plusieurs gueules de terriers, creusées certainement par des lapins, bien qu’elles fussent un peu plus larges qu’à l’ordinaire. C’était de la que partait le bruit, qui allait toujours croissant. Comme le vicomte demeurait attentif, quatre ou cinq grands oiseaux blancs, marqués de noir et de fauve, sortirent de ces cavités avec un battement d’ailes tumultueux et s’élevèrent dans les airs. C’étaient les tadornes.

Hector porta vivement son fusil à l’épaule, et allait faire feu au milieu de la troupe ; mais, en vrai chasseur toujours maître de lui, il ne pressa pas d’abord la détente. Un coup d’ail lui avait suffi pour reconnaître qu’il n’avait à portée que des halbrans de l’année, tandis qu’il désirait surtout abattre un adulte. Comme il hésitait à tirer, une circonstance nouvelle se produisit.

Une des plus grosses tadornes, la mère certainement, se détacha de la bande qu’elle dirigeait, et, tandis que les jeunes continuaient leur vol vers l’extrémité de l’étang, elle revint seule vers le vicomte en ayant l’air de s’offrir à ses coups. Elle volait fort bas et mal, comme si déjà elle était blessée, et s’efforçait visiblement d’attirer l’attention sur elle.

Cransac connaissait par ouï-dire le dévouement de certains oiseaux, qui, pour sauver leurs petits, se jettent ainsi au-devant du chasseur, et La Fontaine, avec sa grâce ordi naire, a conté l’abnégation maternelle de la perdrix en pa-