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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

en anachorète ; elle sortait chaque jour dans un superbe coupé, traîné par des chevaux de race, et se montrait sur les quais, aux Quinconces, partout où se réunissait la fashion locale. Le soir, on la voyait encore en loge découverte, au grand ou au petit théâtre ; et ses toilettes de soirée, comme ses toilettes de ville, étaient un objet d’études empressées pour les dames du pays.

Maintenant quelle était la position réelle de ce couple, qui s’enveloppait ainsi dans son nuage de richesse et d’élégance ? C’est ce que le lecteur saura bientôt.

Le vicomte et sa compagne habitaient depuis quelques mois déjà la maison de l’avenue, quand, par une chaude journée du mois d’août, nous les trouvons réunis dans un salon du premier étage. C’était l’heure où d’ordinaire madame se rendait à la promenade et monsieur à la Bourse ; mais, ce jour-là, ils ne semblaient songer ni l’un ni l’autre à sortir. Hector de Cransac, revêtu d’un charmant costume de chambre, était assis devant une fenêtre qui donnait sur la campagne. Une lunette à la main, il observait avec intérêt les mouvements d’un télégraphe situé sur une hauteur à quelques lieues de là, et dont un autre télégraphe, établi sur le clocher de l’église Saint-Michel, reproduisait les signaux. De temps en temps il traçait au crayon quelques traits rapides sur un papier posé devant lui ; mais sans doute le résultat de ses observations ne le satisfaisait pas, car il frappait souvent du pied ou poussait une exclamation de colère.

Absorbé par ce travail, il paraissait avoir complétement oublié sa séduisante compagne, qui se trouvait à quelques pas derrière lui. Elle était à demi couchée ou plutôt assise dans un hamac en écorces de couleur, que des cordons de soie attachaient au plafond. Elle ne parlait pas, et se contentait de soupirer par intervalles, mais elle ne semblait pas avoir sommeil ; elle était seulement alanguie par la chaleur, et de plus une petite moue boudeuse contractait ses lèvres rouges. Sa tête gracieuse, aux yeux à demi clos, re-