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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

chose, de lui servir de jouet… Il n’y a, il ne peut y avoir rien de plus.

Il s’arrêta et se frappa le front.

— Pauvre niais ! dit-il avec colère contre lui-même ; quand donc cesseras-tu de faire des rêves absurdes, ridicules, qui l’épuisent et te tuent ?

Cependant il ne tarda pas à se remettre en marche à pas lents ; Cransac l’observait de loin, et, tout en chargeant son fusil, il disait de son côté :

— Hum ! son esprit travaille… Tant mieux ! Cet homme m’ennuie à la fin avec są réserve insupportable, et nous perdons un temps précieux. Je lui ai mis la puce à l’oreille ; cette diablesse de Fanny fera le reste… En attendant, tâ chons de nous distraire en tuant des tadornes.

Et il commença à battre les ajoncs et les bruyères.

Mais Grélu, dont on avait tant vanté l’ardeur à la chasse, ne paraissait nullement disposé à remplir son office habi tuel. Il continuait de courir de çà, de là en silence ; il avait toujours l’œil hagard, la gueule rouge et baveuse. Parfois il s’arrêtait brusquement et mordait avec frénésie les pierres, les souches de genêts qu’il trouvait sur son chemin. Ce fut en vain que Cransac appela, siffla, menaça. Le chien ne parut pas l’entendre et poursuivit son manége, sans même tourner la tête.

— Qu’a donc ce stupide animal ? dit le vicomte avec colère ; sans doute il est trop fier pour chasser en compagnie d’un bourgeois !… Eh bien ! qu’il aille au diable ! je chasserai seul et il se mettra de la partie quand l’envie lui en prendra.

Sans songer davantage à Grélu, il se mit à battre lentement les endroits que son expérience lui désignait. De nombreux terriers étaient béants au milieu de la bruyère, sur le bord de la mare, et à chaque instant des lapins, gités dans les hautes herbes, partaient devant lui ; mais il dédaignait ces proies vulgaires et continuait son chemin.