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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

intentions, monsieur le vicomte, mais aucune puissance humaine ne saurait réaliser les rêves d’un pauvre fou tel que moi… D’ailleurs, ajouta-t-il en s’arrêtant et en étendant le bras, voici l’endroit où vous devez vous mettre en quête.

La passion du chasseur reprenant le dessus, Cransac promena un regard curieux autour de lui.

On se trouvait maintenant en face d’une grande mare formée dans un pli du terrain et que traversait un mince filet d’eau courante. Des joncs et des plantes marécageuses en cachaient une partie et n’en laissaient apercevoir çà et là que des plaques brillantes où se reflétait le ciel. Le pays environnant était plus triste et plus aride en core que le reste de la lande. Quelques osiers formaient des touffes d’une verdure glauque au-dessus de la bruyère pourprée, dont le tapis, se déchirant par places, découvrait un sol roux et sablonneux.

Les arbres, dans ce morne paysage, étaient chétifs, maigres et largement espacés ; c’étaient quelques bouleaux, à l’écorce blanche, des châtaigniers au tronc éventré et béant. Sauf une misérable chaumière, située sur l’autre bord de l’étang, et dont quelques flocons de fumée trahissaient la présence, il n’y avait aucune habitation humaine aussi loin que la vue pouvait s’étendre. Un silence lugubre régnait dans ces lieux déserts, et n’était troublé que par la note plaintive d’un oiseau aquatique caché dans les marécages.

Pendant que Cransac contemplait ce tableau, Fleuriot, qui peut-être éprouvait pour son compte le désir d’être seul, lui dit précipitamment :

— Je ne ferais que vous gêner, monsieur le vicomte ; aussi vais-je profiter de l’occasion pour visiter la pauvre vieille mère Bardonet, qui habite cette maison là-bas… Je vous rejoindrai dans une heure ou deux, et je pense que vous aurez déjà accompli bien des prouesses. Les tadornes se retirent dans les terriers de lapins que vous rencontre-